Comme un pied de nez à la vraisemblance, à la mimésis ou à des formes trop figuratives de représentation, le corps s’efface parfois des scènes contemporaines pour laisser sa place à une trace ou une empreinte de lui-même. Comme si, par-là, on cherchait à signifier son caractère indispensable. Cet article vise à interroger la réalité d’une esthétique théâtrale de la disparition, dont l’enjeu semble être, à travers l’absence du corps (ou plutôt à travers la marque de sa présence passée), d’en signifier la fragilité tout autant que de résister face à l’inéluctable finitude de l’être. L’analyse s’appuyant sur trois exemples tirés de scènes contemporaines cherchera à montrer comment, en supprimant l’incarnation par le corps, l’expression y sera réduite à un niveau presque moléculaire, faite de traces et d’effacements, établissant dès lors une esthétique autre.
Article paru dans la revue Captures.
Cette communication se basera sur deux dispositifs scéniques (Une fête pour Boris (2009) de Denis Marleau et La Plaza (2018) d’El Conde de Torrefiel) dont les procédés de figuration du visage humain en apparence antinomique aboutissent à des mécanismes perceptifs similaires : des figures analogues qui deviennent le réceptacle de fragments de mémoires et d’expériences que le spectateur possède et garde en lui. Par la démultiplication massive d’un même visage ou par des personnages « dévisagés », c’est la perception spectatorielle qu’on explore et qu’on teste.
Communication pour le colloque international Masques et identités plurielles : de la reconstruction de soi aux défis de l’anthropocène co-organisé par la MSH Paris-Nord, l'unité de recherche Scène du monde (EA1573,Université Paris 8) et le laboratoire de recherche ELLIADD (EA4661, Université Bourgogne France-Comté). Plus d'informations ici.
Le théâtre contemporain, en mettant en scène des corps portant les cicatrices réelles d’une douleur ou d’une souffrance, impose au spectateur une participation « émotionnelle » reposant sur la subjectivation sensible de l’autre. Ce faisant, le spectateur est volontairement mis face à ses propres limites éthiques et morales d’une part, mais aussi aux limites de ce qu’il considère comme relevant de l’esthétique. La simultanéité de la réception théâtrale implique des relations d’empathie particulières entre le spectateur et ces présences fortes, reposant non seulement sur la coprésence, pouvant être remise en question dans certaines formes contemporaines expérimentales, mais aussi et surtout sur son caractère non-reproductible et définitivement ancré dans le présent. Cet article s’attachera à mettre en évidence l’ambiguïté de ce personnage portant un fort caractère réel, pour diriger la réflexion vers les réactions empathiques de rejet ou d’attraction que leur vision peut provoquer, révélant le lien entre l’acteur et le spectateur, et exposant au final le spectateur à lui-même. C’est alors une véritable réflexion sur la position spectatorielle dans le théâtre et en dehors, en tant que regardant face à un autre, regardé, qui pourra éclore.
Article paru dans la revue Notos.
Pendant les 14 mois qu’ont duré les confinements successifs, pour que l’évènement théâtral ait pu avoir lieu tout en étant privé de ses murs, la nécessité de modalités alternatives de mise en scène s’est imposée. Et dès lors même que ces mutations s’engageaient précipitamment, la singularité du théâtre en tant que lieu était remise en question, lui qui à l’évidence ne désignait pas seulement la matérialité spatiale résultant de l’engagement strict à un contexte dramatique, mais métaphorisait aussi un être-ensemble, une somme de co-présences simultanées dans le partage de l’acte théâtral. La coïncidence de ce courant de pensée avec la fermeture forcée des salles, véritable rupture spatiale donc, a accentué l’apparition de modalités hybrides permettant l’exécution d’un théâtre ostensiblement « ailleurs » et « autrement », le rendant de fait plus visible. Le théâtre ainsi délocalisé donne naissance à un théâtre partout, voire à un théâtre personnel. S’opère alors un renversement fondamental de point de vue car mettre en scène devient dès lors mettre en salle, c’est-à-dire que la scène prendra forme autour de l’expérience spectatorielle et la singularité du rapport que le spectateur entretient avec elle. Afin de faire état de cette situation (devrait-on dire faire un état des « lieux » ?), cette communication s’appuiera sur l’analyse de scènes contemporaines dans lesquelles le lieu a cédé sa place à un dispositif donnant accès à une expérience intime entre le spectateur et l’événement théâtral.
Communication pour la journée d'étude Avoir lieu - Formes alternatives de spectacle vivant avant, pendant et après la crise sanitaire : quel patrimoine ? Quelles résonances ? organisé par La Marge Heureuse en partenariat avec l’Université Paris 8. Plus d'informations ici.
Le regard est bousculé par la persistance de la crise sanitaire qui se propage partout et s'étend dans le temps. La distanciation sociale le charge d’une importance renouvelée, faisant de lui le principal « moyen de communication », plus que jamais mis en avant par le fait qu’il devient la seule partie de nos visages laissée « à découvert » par le masque, et fonctionnant dès lors autant pour montrer, pour dire, que pour voir. Bien qu’ainsi chahuté par les modalités imposées par le confinement, cet acte du regard pourrait aussi être vu comme une forme de résistance face à la rupture des liens symbolisée par les présences dématérialisées, à l’invisibilité, à l’imprévisibilité du lendemain et au trouble né des consignes contradictoires, à l’ignorance et à l’anxiété refoulée, à l’abandon de soi et du reste. Le regard se fait ainsi révélateur des limites de ce qu’il perçoit, de l’encadrement de nos écrans et de nos pensées, de l’information dominante. La nécessité d’une réparation semble se poser en évidence aujourd’hui, reste à nous interroger sur le sens que l’on donne à cette réparation : qu’est-ce que « réparer » ? Comment et pourquoi réparer, avec, par et à travers la scène ? Peut-on réellement attribuer aux arts de la scène un tel pouvoir réparateur ? Si oui, quel rôle y jouera le regard ?
Intervention pour la séance d’ouverture de la journée d'étude Les arts de la scène comme forme(s) de réparation(s) à l'épreuve de la Covid-19 organisée par Giuseppe Burighel et Juliette Riedler. Plus d'informations ici.
La thèse porte sur l’étude d’un phénomène de renversement de l’attention du spectateur vers lui-même, observé dans les œuvres contemporaines à forte théâtralité et nommé le « retournement du regard ». Survenant ponctuellement ou traversant une œuvre comme principe conceptuel, le retournement du regard remet en question la hiérarchie des présences théâtrales et les enjeux de responsabilité liés au regard induits par la fonction spectatorielle. Ce phénomène, transversal et imprégnant beaucoup de pratiques artistiques actuelles, peut être compris à la fois comme un lien entre des modes d’expression hétérogènes et souvent transdisciplinaires, dont la classification générique devient de plus en plus difficile, mais aussi comme un outil dramatique pour introduire dans les œuvres un des sujets qui y semble aujourd’hui récurrent : le spectateur lui-même. L’étude sera composée de trois mouvements pensés pour une approche progressive et chronologique de l’ensemble du phénomène. Une analyse contextuelle d’abord, une définition du retournement ensuite, passant par un point théorique sur le regard, une catégorisation des différents déclencheurs du retournement et l’analyse d’exemples issus des pratiques artistiques contemporaines (Castellucci, Bernat, Rimini Protokoll, Jatahy, etc.), et une projection enfin des hypothétiques conséquences du retournement, sur les créations théâtrales, la figure du spectateur et la nature même du théâtre. Cette thèse se veut donc à la fois un état des lieux de la fonction spectatorielle au début du XXIe s., mais aussi une analyse des modalités selon lesquelles le théâtre s’adresse à lui et prend en compte les problématiques de son époque.
Plus d'informations sur These.fr.
La performance The Artist Is Present, créée par Marina Abramović en 2010, servira de point de départ à cet article pour tenter de démontrer comment la théâtralité influe sur la condition du spectateur et sa réception de l’œuvre. Cette théâtralité prendra ici des formes multiples et s’exprimera à plusieurs niveaux, instaurant des relations spectateur-œuvre complexes. La figure du spectateur y est en effet diverse, celui-ci étant à la fois observateur, participant et ultime récepteur d’une démarche artistique visant à le placer au centre de l’attention, à en faire à la fois le sujet et l’objet des regards suscités par la performance. Ainsi positionné, c’est finalement vers lui-même que sera retourné son regard, que ce soit par l’intermédiaire de celui de l’artiste ou en se projetant dans celui des participants qui lui est transmis par un système de diffusion numérique.
Article paru dans la revue Appareil.
Le théâtre a toujours été affecté par le développement des nouvelles technologies. De nos jours, la cohabitation entre le corps de l’acteur et les nouvelles technologies peut être à la fois un défi ou un atout. Dans ce contexte, l’acteur sur la scène de Castellucci n’incarne plus seulement un « personnage », il est un corps en scène devenu quelque chose de plus essentiel, marqué par sa présence organique.
Romeo Castellucci pose souvent dans ces spectacles la question du corps, figure irremplaçable et multiple, affranchi de la notion de jeu d’acteur. Le mot « acteur » en lui-même devient désuet, et le corps est exposé sur le plateau dans sa matérialité, sans limites quant à sa forme : adulte ou enfant, professionnel ou amateur, bien portant ou abimé. À cette présence est physiquement juxtaposée celle de l’écran, aux caractéristiques opposées à celles des corps de chair : inerte, mécanique et non définitif. Pourtant ces deux fonctions s’influencent et se complètent en répondant à la même problématique scénique et dramaturgique. Ainsi, par le dispositif de l’écran et à travers une transmission de l’image en direct, Castellucci expose de manière particulière les corps, « augmentant » leur présence sur scène. Cette cohabitation entre corps et écran fait surgir un sens concentré de l’humain, évoquant l’expression sensiblede l’énergie corporelle.
Pour illustrer ces observations, je m’appuierai lors de ma présentation sur deux exemples issus des œuvres de Romeo Castellucci, marquant par leur utilisation en direct de la vidéo. D’une part, Giulio Cesare (1997) dans lequel un des acteurs, laryngectomisé, s’introduit une caméra endoscopique dans les fosses nasales pour filmer ses cordes vocales. L’image de leur vibration est alors visualisée sur l’écran, symbolisant sa volonté de prononciation. D’autre part, Orphée et Eurydice (2014) où un système de retransmission WiFi permet de projeter sur un écran les images d’Els, une patiente atteinte du locked-in syndrom, alors qu’elle assiste par radio au spectacle. Ainsi s’installe une communication interactive entre les deux corps d’Eurydice, le corps virtuel (sur l’écran) et le corps de chair (sur scène).
Ouvrage disponible aux Éditions l'Entretemps.